Viser juste pour les artistes
La Convention de 2005 de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles reconnaît et protège les expressions artistiques et culturelles à l’échelle mondiale
La diversité des expressions culturelles est ce qui insuffle de la vitalité et du dynamisme à notre monde. Les émissions de télévision que nous regardons, les livres que nous lisons, la musique que nous écoutons – entre autres – représentent des tremplins économiques et sont vitaux pour le rapprochement et la paix.
Or, leur efficacité repose sur l’établissement d’un cadre de démocratie, de tolérance, de justice sociale et de respect mutuel entre les peuples et les cultures. C’est pourquoi les États membres de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) ont uni leurs forces en 2005 pour reconnaître et codifier l’importance de la diversité des expressions culturelles par l’intermédiaire de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
Qui la Convention protège-t-elle, et comment?
Que vous soyez artistes, praticiennes et praticiens culturels ou un organisme culturel, la Convention de 2005 demande aux États de prendre des mesures politiques, afin de créer sur leur territoire un environnement protecteur pour vous.
Cette entente internationale reconnaît que l’expression libre de la culture est ce qui permet aux différents peuples de transmettre leur savoir, de renforcer la compréhension sociale et de tisser des liens. L’entente vise à promouvoir et à protéger la diversité des expressions culturelles en créant des conditions propices à la culture – ce qui comprend une aide financière, une protection juridique et la création d’espaces permettant aux personnes appartenant à des groupes minoritaires ou autochtones de faire valoir leurs expressions culturelles.
De plus, la Convention encourage les pays à :
- consacrer du financement public à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles;
- favoriser les partenariats publics-privés pour promouvoir l’échange d’idées et encourager l’esprit créatif et entrepreneurial des praticiennes et praticiens culturels;
- reconnaître et soutenir le rôle que jouent les artistes et les communautés culturelles dans la promotion de la diversité des expressions culturelles.
À ce jour, 152 États et une organisation régionale, l’Union Européenne, ont ratifié la Convention à leur législation nationale. Le Canada a été le premier à le faire en novembre 2005.
« La protection, la promotion et le maintien de la diversité culturelle sont une condition essentielle pour un développement durable au bénéfice des générations présentes et futures. »
— Principe directeur 6, Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles
« (…) les aspects culturels du développement sont aussi importants que ses aspects économiques, et les individus et les peuples ont le droit fondamental d’y participer et d’en jouir. »
— Principe directeur 5, Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles
Les fondements de la Convention
La Convention protège les artistes, les praticiennes et praticiens culturels et les organismes culturels par l’intermédiaire de huit principes simples exigés aux pays signataires :
- Respect des droits de la personne et des libertés fondamentales
- Souveraineté des pays dans l’adoption de mesures et politiques de protection
- Dignité égale et respect de toutes les cultures
- Solidarité et coopération internationales
- Complémentarité des aspects économiques et culturels du développement
- Développement durable
- Accès équitable
- Ouverture et équilibre
Voici un peu de contexte sur l’application de ces principes.
Équité
La Convention vise à assurer l’équité des chances entre les différentes cultures.
Pour ce faire, elle appelle notamment à l’élaboration de politiques qui protègent et promeuvent la diversité des expressions culturelles. Les pays sont encouragés à créer des possibilités pour tous les groupes culturels, quelle que soit leur importance. La Convention stipule que les pays doivent protéger la diversité des expressions culturelles, « en particulier dans des situations où les expressions culturelles peuvent être menacées d’extinction ou de graves altérations ».
En outre, la Convention demande aux signataires de tenir compte des situations et des besoins particuliers des femmes et des groupes minoritaires et autochtones.
« (…) dans ses appels à l’action, la Commission de vérité et réconciliation du Canada déclare que les langues autochtones représentent une composante fondamentale et valorisée de la culture et de la société canadienne, et qu’il y a urgence de les préserver. »
— Sheueu – Mémoire sur le contenu musical autochtone, Makusham Musique, 2022
L’art pour l’art
L’expression culturelle – qu’il s’agisse d’art, d’un récit, ou d’une chanson – peut représenter une occasion économique. Mais elle n’a pas à l’être.
Selon la Convention, les activités culturelles ne doivent pas être traitées comme ayant exclusivement une valeur commerciale. Les pays doivent plutôt protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles pour sa valeur intrinsèque.
« Une énorme partie de la création artistique a été commercialisée, et cela cause notre perte. »
— Jesse Wente, auteur et communicateur anishinaabe
Président du Conseil des arts du Canada, balado BetaKit
C’est pourquoi la Convention propose aux pays des manières d’exclure certains produits culturels des accords de libre-échange. Par exemple, les produits cinématographiques et télévisuels créés au Canada peuvent bénéficier d’incitatifs fiscaux qui ne sont pas offerts à leurs équivalents américains, même si les deux pays ont conclu des accords commerciaux pour d’autres biens.
Avant l’adoption de la Convention[1] , « l’[Organisation mondiale du commerce] plaçait les magazines sur le même plan que les poitrines de porc », écrivait en 2015 l’ancienne vice-première ministre du Canada Sheila Copps dans un rapport sur la Convention. Celle-ci a permis à des pays de promouvoir leurs industries culturelles et de les protéger de la pression croissante des exportations culturelles provenant de leurs homologues plus puissants ou plus stables sur le plan financier.
Quel impact la Convention a-t-elle sur les créateurs.trices ?
La Convention stipule que les activités, biens et services culturels – des œuvres en perles et sur toile jusqu’aux films, émissions de télévision et médias – possèdent une valeur intrinsèque, quelle que soit leur valeur commerciale. Cela signifie que le Canada doit protéger et promouvoir la création artistique et les échanges culturels même lorsque ces activités ne sont pas commercialisées.
Par exemple, la Convention établit que puisque la musique est une source de richesse intangible et matérielle, le Canada doit protéger et défendre les dépositaires, les praticiennes et praticiens ainsi que les systèmes d’échange de cet art.
« (…) la musique permet de faire vivre la culture des peuples autochtones puisqu’elle porte les coutumes et les façons de vivre et permet de partager les valeurs de chaque communauté. En plus de préserver l’identité, la fierté et le sentiment d’appartenance des peuples autochtones, plusieurs personnes sont d’avis que la musique permet de briser les barrières et favorise une meilleure connaissance des peuples autochtones ainsi que le rapprochement avec les Allochtones. »
— Sheueu – Mémoire sur le contenu musical autochtone, Makusham Musique, 2022
Foire aux questions
« La Convention considère la culture comme l’une des pierres angulaires du développement durable et non pas comme n’importe quel autre bien marchand. Dans un monde où les dissensions sont fréquentes, nous devons créer pour les artistes et les professionnels de la culture un environnement propice à la création et à l’échange (…) avec un accès à des marchés divers. »
Sheila Copps, ancienne vice-première ministre du Canada, Re|penser les politiques culturelles
La Convention est-elle assujettie à la réglementation ou aux lois internationales?
La réponse simple est : oui. Traité international juridiquement contraignant, la Convention énonce un ensemble de principes et de lignes directrices visant à protéger et à promouvoir la diversité des expressions culturelles à l’échelle mondiale. Les pays ayant ratifié la Convention sont légalement tenus de mettre en œuvre ses dispositions dans leurs cadres juridiques nationaux. Pour ce faire, ils pourraient devoir :
- adopter des lois et des règles qui s’inscrivent dans les objectifs de la Convention;
- promouvoir des politiques culturelles;
- appuyer les initiatives qui protègent et favorisent l’expression culturelle.
Si la Convention est stricte sur le plan judiciaire pour les pays signataires, les mécanismes précis de mise en œuvre et d’application peuvent varier d’un pays à l’autre.
Comment la Convention peut-elle protéger l’expression culturelle des communautés minoritaires et des peuples autochtones?
La Convention comporte trois articles qui protègent les expressions culturelles de différentes manières :
- L’article 6 porte sur les droits des parties au niveau national. Il souligne la nécessité de mettre en place des mesures destinées à protéger et à promouvoir la diversité des expressions culturelles et à favoriser les activités culturelles nationales, notamment grâce à une aide financière publique.
- L’article 7 énonce des mesures destinées à promouvoir les expressions culturelles et stipule que les signataires doivent s’efforcer de créer un environnement qui encourage les gens à créer, produire, diffuser et distribuer leurs propres expressions culturelles et à y avoir accès, en tenant compte des conditions et besoins particuliers des femmes, des personnes appartenant à des minorités et des peuples autochtones.
- L’article 8 présente des mesures destinées à protéger les expressions culturelles dans les situations spéciales où ces expressions sont soumises à un risque d’extinction, à une grave menace, ou nécessitent de quelque façon que ce soit une sauvegarde urgente.
Il est important de noter que le principe de souveraineté énoncé dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) affirme que les peuples autochtones ont le droit de décider des mesures et politiques destinées à protéger et à promouvoir la diversité de leurs expressions culturelles.
Comment la Convention protège-t-elle les expressions culturelles menacées?
La Convention établit des principes, lignes directrices et mécanismes que les pays peuvent utiliser pour protéger et promouvoir les expressions culturelles, en particulier celles qui sont menacées. Les signataires peuvent ainsi :
- élaborer et mettre en place des politiques culturelles qui appellent à la protection et à la promotion des diverses expressions culturelles, par exemple des stratégies qui soutiennent les artistes, les créatrices et créateurs et les industries culturelles;
- mettre en place des cadres juridiques et réglementaires qui favorisent la diversité des expressions culturelles, par exemple des lois qui protègent les droits des artistes et des créatrices et créateurs en assurant un accès équitable aux ressources culturelles et en empêchant la prédominance d’une seule expression culturelle;
- coopérer sur le plan international et échanger des expériences et des pratiques inspirantes pour surmonter les défis courants et protéger les expressions culturelles qui pourraient être menacées hors frontières;
- sensibiliser le public à la valeur de la diversité des expressions culturelles, notamment par des programmes éducatifs et des campagnes et activités culturelles, pour mettre en lumière l’importance de l’expression culturelle dans la construction des identités et des sociétés;
- offrir du financement et d’autres ressources pour soutenir les expressions culturelles (en particulier celles qui sont menacées), comme une aide financière pour les artistes, les organismes culturels et les projets visant à protéger les expressions culturelles menacées;
- encourager les communautés autochtones et locales à participer aux décisions qui touchent à leurs expressions culturelles et collaborer avec elles pour mettre au point des politiques et initiatives qui respectent les connaissances et pratiques traditionnelles;
- améliorer la reddition de comptes et faire périodiquement rapport sur les initiatives visant à protéger et à promouvoir la diversité des expressions culturelles. La Convention stipule que les pays signataires doivent faire état de leurs progrès tous les quatre ans. Cela incite les gouvernements à rendre des comptes sur leurs engagements, faire un suivi de la mise en œuvre des différentes dispositions de la Convention de 2005 dans les systèmes législatifs nationaux et partager les exemples de bonne pratique avec les autres Parties.
En appliquant les principes et mécanismes énoncés dans la Convention, les pays peuvent préserver les expressions culturelles à risque et contribuer à la vitalité du patrimoine culturel diversifié et à la richesse du paysage culturel mondial.
La Convention à l’œuvre
L’Office national du film s’associe à imagineNATIVE
Le financement fédéral total consacré aux productions audiovisuelles autochtones au Canada a augmenté considérablement ces dernières années, passant d’un peu moins de 16 millions de dollars en 2019-2020 à près de 31 millions en 2021-2022. La majorité des fonds ont été alloués à la production cinématographique et télévisuelle, ce qui comprend les œuvres financées grâce au partenariat entre l’Office national du film et imagineNATIVE.
Établi en 2012, le partenariat donne aux artistes autochtones accès à des studios de production et à des possibilités de mentorat individuel et vise à faire siéger des représentantes et représentants autochtones de l’industrie cinématographique à des comités de sélection de festivals.
En partie grâce à cette initiative, le financement accordé aux longs métrages autochtones représentait 18,1 % de la production cinématographique canadienne en 2021-2022. (Mais il y a encore du travail à faire : en tout, la production audiovisuelle autochtone ne représentait que 5,2 % de l’ensemble de la production audiovisuelle canadienne de 2019 à 2022.)
Le CALQ relance le programme Re-connaître
Le programme Re-Connaître a été lancé en 2018 par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). En l’espace de deux ans, il a contribué à accroître le nombre de candidatures autochtones envoyées au CALQ de 71 %. En date d’août 2023, le programme a investi plus de 1,7 million de dollars dans plus de 70 projets de créatrices et créateurs des quatre coins de la province.
Le CALQ attribue la réussite du programme à la manière dont il a été mis au point : en effet, il résulte de consultations et de dialogues constructifs menés avec des artistes et des communautés autochtones. Le CALQ a écouté leurs défis et leurs besoins et a créé en réponse une subvention novatrice comportant peu de barrières.
Le programme Re-connaître diffère des programmes de subventions par son processus de candidature, qui propose des critères flexibles adaptés aux besoins et aux capacités des jeunes artistes et des artistes en début de carrière. Les candidates et candidats peuvent même déposer des demandes de subvention en envoyant des présentations orales ou vidéo plutôt que des demandes écrites.
« Lorsqu’il est question de militer pour des changements de politiques, du financement public ou la création d’un organisme de financement pour présenter les récits autochtones à la population canadienne, il ne faut surtout pas recréer les structures coloniales qui nous ont historiquement marginalisés. »
— Jesse Wente, auteur et communicateur anishinaabe
Président du Conseil des arts du Canada
Une plateforme musicale qui met en vedette les œuvres d’artistes autochtones
Depuis 2018, Nikamowin, une plateforme musicale gratuite créée par Musique Nomade (un organisme qui reçoit du financement public et des dons), a diffusé près de 100 œuvres d’artistes des communautés inuites, métisses et des Premières Nations ainsi que d’autres communautés autochtones ailleurs dans le monde. La plateforme présente des artistes, des listes de lecture et des activités, et constitue une vitrine pour les artistes émergents et établis du Canada et de l’étranger.
Faire valoir ses droits culturels
Vous souhaitez vous impliquer pour la mise en œuvre de la convention au Canada ? Devenez membre de la Coalition pour la diversité des expressions culturelles (CDEC). Cette dernière réunit plus de 50 organisations professionnelles du secteur culturel au Canada, représentant plus de 360 000 créatrices, créateurs, professionnelles et professionnels et 2 900 entreprises. La CDEC s’intéresse tout particulièrement à la manière dont la culture est abordée dans les accords commerciaux et à l’influence de l’environnement numérique sur la diversité des expressions culturelles.
La Commission canadienne pour l’UNESCO (CCUNESCO) défend le mandat et les initiatives de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) au Canada et fait entendre sur la scène internationale les voix des dépositaires du savoir du pays.
La Fédération internationale des coalitions pour la diversité culturelle est la voix des professionnelles et professionnels de la culture du monde entier. Elle protège la diversité des expressions culturelles à l’ère numérique. Pour en savoir plus sur sa mission, consultez le site Web de la Fédération.
Les progrès du Canada
Tous les quatre ans, les pays signataires comme le Canada doivent soumettre un rapport à l’UNESCO concernant les mesures prises pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles. Consultez ce site Web pour en savoir plus sur les progrès des différents pays.